Le jardin Kréyol et la culture du jardinage dans les zones urbaines
En Martinique, mon pays natal, le jardin kréyol est l'essence “même” de la consommation locale. Le jardin kréyol est un lieu de vie, de partage, lieu social et d'histoire.
Je suis installé au Congo-Kinshasa depuis plus de 2 ans, et j’accompagne des entrepreneurs particulièrement dans le domaine de l'agriculture pour le compte d’entrepreneurs martiniquais.
Ici, tout est à faire. Dans ce pays en devenir, les porteurs de projets sont donc les bienvenus avec en première ligne l’investissement dans l'enseignement, la formation, la culture, l'agriculture et bien évidemment l'industrie, l'immobilier ainsi que les services, notamment le transport fluvial. Le potentiel est énorme et il y a de la place pour tous sur les plans. Mais restons sur le plan agricole.
En RDC, les terres cultivées ne représentent que 10% sur les 80 millions d'hectares de terres arables, soit un potentiel de développement énorme. Avec les gros projets d'infrastructures en cours et avenir, la place de l’agriculture urbaine est inexistante. Peu de projets prévoient dans leur programme d’intégrer l’agriculture urbaine, mise à part le projet Kintoko et pourtant les projets ne manquent pas à Kinshasa.
Dans la province de Kinshasa et sa périphérie, l’agriculture est basée essentiellement sur les cultures suivantes : manioc, maïs, patate douce, haricots, et les légumes feuilles, base de la consommation quotidienne.
Arrivé en 2021 à Kinshasa, j’ai pu remarquer des paysages désertiques de la province et les stigmates de forêts abattues ont été des images marquantes de ma découverte, témoignage des pratiques locales. Engagés sur des projets de reboisement et d'autosuffisance alimentaire, nous travaillons à l'adoption des bonnes pratiques traditionnelles de la Caraïbe, tout en conservant les bonnes pratiques locales.
Véritable pharmacie, le jardin Kréyol est le fournisseur des plantes médicinales de tout héritier de la culture antillaise. Dans ce lieu de verdure, de production de légumes, on retrouve de nombreuses plantes utilisées par les familles.
Que ce soient des décoctions, des infusions, des tisanes, le jardin créole donne accès à des boissons de toutes sortes qui apportent vigueur, force, énergie et confort. Par ailleurs, d'autres plantes servent à panser, aide à cicatriser et à soigner comme l'aloe vera, hibiscus, etc. Il s'agit donc d'un outil fort de son apport au niveau sanitaire et nutritionnel. Ce jardin coloré, luxuriant, est souvent composé d'innombrables plantes (guérit-tout, gros Thym, Atoumo, Chardon béni, plantain, brisé, pourpier, herbe couresse, cannellier, corossolier, piments, curcuma, gingembre, doliprane, citronnelle, papayers, goyavier, malnommée, vétivers, etc).
Toute cette diversité qui contribue à la richesse de la pharmacopée antillaise associée au savoir-faire transmis de génération en génération permet de pouvoir profiter de tous les bienfaits des plantes qui permettent pour certaines à lutter contre la fièvre, facilitent la digestion, ralentissent l'absorption du sucre et pour d’autre réduisent les maux d'estomac, etc.
Par exemple, mentionnons les bienfaits attendus de certaines plantes :
La citronnelle (Cymbopogon citratus) aide à lutter contre la fièvre.
Atoumo (Alpinia zerumbet : appelé dégonflé) contre les états grippaux.
Herbe couresse (Peperomia pellucide) contre les maux de dents en bain de bouche.
Chadron béni (Centaurea bénédicta) Anti-inflammatoire et stimule l'appétit.
Le groseille (Hibiscus saffarida) ralentit l'absorption de sucre dans le sang.
Après quelques déplacements en zones rurales, dans des jardins et des villages, on note une similitude assez marquée au niveau des espèces de plantes. Par exemple, la pharmacopée des Antilles et celle de la province du Congo central partagent de nombreuses plantes en commun. Quand on considère la diversité des bienfaits et des utilisations, face aux enjeux de santé publique et de nutrition en Afrique, on ne peut qu'être optimiste quant au devenir des potentiels partages de connaissances et d’expériences à ce sujet.
Par ailleurs, le jardin kréyol n’apporterait-il pas une dimension humaine et écologique dans une capitale où l’arbre n'occupe guère une place importante ? Ne serait-ce pas l'occasion de développer une agriculture urbaine pouvant contribuer à l'alimentation des Kinois?
Aujourd'hui, le savoir-faire caraïbéen est une force, un avantage, une qualité qui portera rapidement du fruit dans des milieux où l'agriculture et le rapport à la terre sont fortement sous-estimés et dénigrés. Certainement, le jardin kréyol sera une base de progrès pour les familles congolaises et les futurs agriculteurs africains et afro-caribéens…