Je suis noir, je suis blanc : Qui suis-je ?
Nous sommes en Afrique centrale en 2021.
Lors d'une excursion piétonne à Kinshasa dans la commune de Masina, je me fais interpeller. Au premier abord on semblait appelé un individu ayant les attributs des Européens, un blanc. C'est alors qu’étonné, surpris, je me retourne convaincu par l'espoir qu'il s'agissait d'une erreur.
Et non… il s'agissait bien de moi, un Martiniquais interpellé “le blanc”.
Chez nous, aux Antilles, plusieurs termes sont employés afin de qualifier la teinte de la peau ou un type de cheveux: Capresse, chabin, ou encore coulis. D’ailleurs, ses qualificatifs au départ péjoratifs, furent attribués par les colons. Mais à Kinshasa nous sommes perçus comme des blancs.
Comment moi, descendant d'esclaves africains, de retour en Afrique après six générations, devais-je comprendre que je suis un blanc ?
La scène était étonnante. Surpris et ne maîtrisant pas suffisamment le lingala, je continuais ma route, troublé par les mots que j'avais entendus me disant que ces propos étaient le fruit d'une mentalité locale peu répandue.
Pourtant, la réalité est que nous sommes les arrières arrières petites enfants de ceux qui on souffert dans des cales de bateaux après avoir été arrachés des mains de nos parents. Après un périple en mers, les maladies et les pertes humaines, nos aïeuls étaient affectés aux travaux difficiles, aux champs et à toutes sortes de travaux forcés et pénibles par les colons.
Arrivés aux Antilles, les hommes noirs n'étaient bons qu'à travailler aux champs sous les coups de fouet et les femmes noires, elles, étaient utilisées par-dessus toutes ces horreurs, comme des objets sexuels par les propriétaires d'esclaves.
C'est après des luttes, des sacrifices, des combats de vie entière couplés au progrès industriel que l'abolition de l'esclavage et son application allaient permettre aux générations futures de vivre “libre” et cela non sans conséquence.
Du coup, revenons au contexte. Au 21e siècle, un afro descendant qui s'installe sur la terre de ses ancêtres devra donc prendre conscience de la nécessité de réapprendre à vivre avec les réalités sociales et culturelles, mais aussi historiques et cognitives.
Et maintenant des questions se posent:
Comment peut-on appeler un individu négroïde comme moi par le mot “ blanc”. Comment en est-on arrivé là ?
Nous avons confronté nos idées avec des Congolais de Kinshasa au travers de discussions amicales, d'échanges au quotidien, à l'occasion de belles rencontres, des personnalités connues ou inconnues, lors d'événements, et nous avons ainsi obtenu des réponses à cet aspect socioculturel congolais.
L'histoire du Congo-Kinshasa et sa géographie ainsi que sa relation avec l'étranger et la diaspora a été de tout temps une succession de hauts et de bas provoqués par l'instabilité politique des 30 dernières années voir plus.
Les conséquences sur le plan de l'éducation, de la santé et de la vie en société ont été catastrophiques.
Non seulement l'étranger était devenu une curiosité dans certaines communes de la Province de Kinshasa mais en plus, le peu d'étrangers qui venaient, y venaient pour les affaires sans que ces business puissent en profiter à l'amélioration des conditions de vie des Congolais.
Le mot “blanc” n'était pas donc péjoratif mais un qualificatif faisant référence aux qualités, aux manières de vivre des occidentaux et pas simplement un rapport au blanc en tant que tel.
Le fait que “tous les noirs issus des nations ont des origines africaines” ne semblait pas une évidence.
L'Homme noir venant de l'étranger pouvait selon son comportement être assimilé à des groupes communautaires identifiés comme différents: les Nigérians, les Sud-Africains, ou encore les Européens.
Ce dernier groupe social, peu importe ses caractéristiques physiques même si leur peau est plus ou moins riche en mélanine, est appelé Mundele.
Mundele est le terme employé en lingala pour qualifier les Européens. Le lexème “Mindele” utilisé dans les langues bantoues serait d'origine Kongo. Le mot se rapporterait à l' aspect vestimentaire, car les Européens étaient couverts de la tête au pied. “Gens d'étoffe”.
C'est ainsi que dans le passé colonial, les blancs auraient été vus comme des exemples, des modèles de réussite. Tout comme les femmes des colons aux Antilles étaient des modèles de réussite pour les femmes antillaises du début du XXIème siècle, de même le “Mundele” devint ici en RDC le modèle de succès.
Dans ce cas, tout individu étranger serait assimilé au colon belge venant piller les ressources du pays ou en profiter sans que l'autochtone n'en tire profit. Par conséquent, même les noirs venant d'ailleurs sont appelés ainsi.
L'argent de l'occident blanchirait-t-il la peau ?
Non, bien sûr. Cependant la vision paradisiaque de l'Occident au regard des jeunes congolais sublimerait l'individu d'origine congolaise ou africaine qui serait de retour au pays. En passant je vous invite à lire l’article “ L’occident à tout prix : Le rêve le plus en vogue des Kinois! ”
Ainsi, nous avons appris à quel point des générations de jeunes congolais présentaient des marqueurs forts, le manque d'estime de soi et l'autodénigrement. On peut retenir que la souffrance et le désarroi dans un climat loin d'être vivables auront contribué à maintenir beaucoup de Congolais dans l'erreur et l'ignorance.
Pour répondre la question : “ Je suis noir, suis blanc. Qui suis-je? ”? Je dirais qu’en plus des attraits physiques inévitables qui nous sont imposés dès notre naissance, nous sommes ce que nous apprenons sur notre passé et ce que nous voulons être dans le futur.