Les Afro-Péruviens : Une Communauté Africaine Méconnue qui Façonne la Culture et l'Histoire du Pérou
Le Pérou, pays situé à l’ouest de l’Amérique du Sud et voisin du Brésil, de l’Équateur, de la Colombie et de la Bolivie, abrite aujourd’hui une population métissée issue d’un mélange entre les Indiens et les Blancs. Cependant, une autre communauté minoritaire, très peu connue du grand public, réside également dans ce pays. Discrète, cette population tente de vivre malgré les nombreuses difficultés qu’elle doit surmonter au quotidien.
Être noir dans une société influencée par les codes coloniaux est aussi difficile qu’imaginer des descendants africains vivant dans ce pays pourtant si éloigné de l’Afrique. Cette minorité est constituée des Afro-Péruviens. Ces descendants d’esclaves africains font partie intégrante de la société péruvienne et ont su apporter des éléments majeurs à la culture du pays, que ce soit au niveau de la musique, de la nourriture ou de la danse. Bien qu’ils ne représentent en moyenne que 5 % de la population péruvienne, ils sont l’héritage vivant de la présence africaine en Amérique du Sud.
Dans cet article, nous verrons comment s’est formé cette communauté, comment elle est perçue dans la société péruvienne et pourquoi elle semble si effacée dans cette même société.
L’Arrivée des Africains au Pérou
Un dicton péruvien dit : « El que tiene de Inga tiene de Mandinga » (Tout Péruvien a du sang indien ou africain). Durant la traite négrière, entre 1492 et 1700, des millions d’Africains ont été arrachés à leur continent pour être envoyés de force en Amérique latine, où ils étaient contraints d’effectuer un travail pénible.
À cette époque, les Espagnols contrôlaient le pays et c’est eux qui ramenaient ces hommes et femmes de la Terre-Mère, les réduisant en esclavage. Arrivés sur les côtes péruviennes, ils étaient confrontés à une population autochtone, les Amérindiens, avec laquelle l’entente était difficile. Ces nouveaux arrivants peinaient à s’intégrer dans cette nouvelle société.
Le motif de l’arrivée des Africains au Pérou était similaire à celui de leur arrivée dans les Caraïbes et en Amérique : répondre à une demande de main-d’œuvre sur les plantations, notamment de coton et de canne à sucre.
L’Évolution des Afro-Péruviens dans la Société
À la fin du XVIIe siècle, tout comme les « nèg mawon » des Antilles, les « cimarrones » du Pérou cherchaient à sauver leur vie en fuyant les atrocités qu’ils vivaient au quotidien dans les plantations. La souffrance qui leur était imposée les poussait à se rebeller et à former des groupes communautaires appelés « palenques ». Ce terme est également utilisé pour qualifier les afro-descendants de Colombie.
En 1821, le Pérou obtient son indépendance, mais l’abolition de l’esclavage ne se fera qu’en 1854. Pour autant, l’égalité des droits ne concernera pas les Palenques d’ascendance africaine. Comme partout dans le monde, les Noirs souffrent de discrimination de toutes sortes.
Les Afro-Péruviens ne représentent que 5 % de la population totale du Pérou et parmi eux, seul 1 % est issu entièrement d’ancêtres africains, ce qui fait de cette communauté une minorité fragile et victime d’injustice. En effet, un tiers des Afro-Péruviens vivent dans la pauvreté, l’accès à l’éducation ou à la santé leur est difficile et l’opportunité d’obtenir un emploi prometteur l’est encore plus. Ils sont souvent considérés comme des sous-hommes, bons seulement pour effectuer des « sous-métiers ». Par exemple, porter les cercueils lors des enterrements est littéralement un métier destiné aux Afro-Péruviens. Chauffeur ou domestique sont les emplois les plus intéressants qu’ils peuvent obtenir. Ils sont également défavorisés en matière de droits au logement, vivant souvent dans des situations précaires.
Les Initiatives Gouvernementales et la Reconnaissance des Afro-Péruviens
Que fait le gouvernement péruvien à l’égard des afro-descendants ? Plusieurs initiatives ont été lancées pour éradiquer le racisme et les injustices envers cette communauté, mais sans grand succès. Le combat est long et difficile, car certains clichés ont la peau dure depuis l’époque de l’esclavage. Par exemple, le fait de porter les morts est une coutume qui existait déjà durant la période de l’esclavage et qui perdure jusqu’à ce jour.
Dans les mentalités péruviennes, avoir un Afro-Péruvien de « service » est signe de réussite pour les familles riches, tout comme à l’époque coloniale où avoir des serviteurs était flatteur. Quatre cents ans d’us et coutumes ne s’effacent pas du jour au lendemain. Pour cela, des actions fortes sont nécessaires pour un changement radical.
En 2009, l’ancien président du Pérou, Alan Garcia, a fait un geste historique envers les afro-descendants en leur adressant une demande de pardon pour toutes les injustices et discriminations subies. Le Pérou a été le premier État d’Amérique latine à demander pardon aux personnes d’ascendance africaine pour les avoir exclues de la société. Il a également reconnu officiellement que les discriminations raciales dont ils sont victimes ont contribué à les maintenir au bas de l’échelle sociale, les empêchant d’évoluer activement au sein de la société péruvienne.
Cette première grande action a été suivie en 2011 par le président Ollanta Humala, qui a non seulement nommé une femme noire au poste de ministre de la Culture mais s’est aussi engagé à l’intégration des Noirs dans la société péruvienne.
Un Héritage Culturel Vivant
Bien que les inégalités persistent, les Afro-Péruviens se battent pour faire valoir leur droit d’exister mais aussi pour prouver la richesse qu’ils apportent au Pérou grâce à leur héritage. Musique, sport, danse sont des éléments culturels universels qui font la gloire d’un pays. Bien que cela ne soit peut-être pas suffisant pour être visibles sur la scène politique ou médiatique du pays, l’intention de continuer ce combat est plus que vitale.
Chaque 4 juin, la culture afro-péruvienne est célébrée, permettant de mettre en lumière et de reconnaître cette communauté. Durant cette célébration, leurs danses et leurs musiques sont mises en avant. On y retrouve des rythmes africains et des éléments de traditions africaines, tels que le tambour. Le Congo, l’Angola et la Guinée restent en majorité leurs pays d’origine. Tout comme le bèlè martiniquais, leurs chansons racontent la dureté de leur vie dans les plantations.
Le panalivio, chant afro-péruvien, en est l’illustration avec une musique typiquement issue du métissage africain et péruvien, exprimant avec ironie la douleur de la période coloniale. Cette musique est accompagnée de danses pour extérioriser cet épisode tragique de la vie des esclaves africains.
À l’instar d’Aimé Césaire, Nicomedes Santa Cruz, poète et premier artiste à aborder le sujet de la négritude dans son art, a permis de perpétuer la mémoire des ancêtres africains au Pérou. Son art a mis en lumière le folklore afro-péruvien, évitant ainsi sa disparition. Il a écrit de nombreux poèmes, dont le célèbre « Ritmos negros del Perú » (rythmes noirs du Pérou) qui relate la traite négrière au Pérou. Il a poursuivi son combat avec sa sœur et a fait évoluer son art pour la reconnaissance de son peuple à travers des pièces de théâtre, des émissions de radio et de télévision.
Plus tard, il a collaboré avec des journaux locaux tels que « Expresso », un quotidien populaire au Pérou, participant ainsi activement à la vulgarisation du folklore afro-péruvien.
Vers une Reconnaissance Accrue
En raison du racisme décomplexé de la population péruvienne, les Afro-Péruviens ont failli disparaître définitivement de leur société. Contrairement au Brésil ou à la Colombie qui se sont activement penchés sur la reconnaissance des afro-descendants de leurs pays, le Pérou a mis du temps à le faire mais est désormais conscient des conséquences de ce retard. Aujourd’hui, le pays est dans un processus de reconnaissance et de mise en lumière de la communauté africaine du Pérou.